Nous connaissons déjà le tri économique.
Nous découvrons aujourd’hui, à bas bruit, le tri des vivants.
Car il ne faut pas se tromper : demain, lorsque l’euthanasie sera légalisée, elle ne s’adressera pas à tout le monde de la même manière.
Dans les grandes villes huppées, ceux qui en auront les moyens auront le choix :
- Soins palliatifs d’excellence,
- Maintien à domicile avec infirmiers spécialisés, psychologues, ergothérapeutes, kinésithérapeutes,
- Accompagnement médical, humain, spirituel s’ils le souhaitent.
Mais ailleurs ?
Pour la France périphérique, les zones rurales, les banlieues oubliées, la perspective sera toute différente : trop souvent pas ou peu de soins palliatifs, pas ou peu d’équipes mobiles ; juste la douleur, l’isolement, et, discrètement, la « proposition » : mettre fin à ses jours « dignement ».
Dans les services d’urgence déjà saturés ou dans les EHPAD publics croulant sous les dettes, le « choix » sera vite orienté.
On ne pourra pas proposer ce qu’on n’a pas les moyens d’assurer.
Et alors, il faudra oser regarder la vérité en face : ce ne sera plus un droit, ce sera un raccourci social.
Un tri assumé.
Non sur des critères médicaux. Non sur des critères éthiques.
Mais sur des critères financiers et géographiques.
Un exemple :
Prenons un patient de 74 ans, ancien ouvrier agricole, vivant seul dans un petit village du Cantal.
Son cancer s’aggrave.
Le médecin généraliste est parti à la retraite il y a trois ans, il n’a pas été remplacé.
L’hôpital le plus proche a fermé son unité de soins palliatifs l’année dernière, faute de personnel.
Restent deux solutions : supporter la douleur… ou choisir la sortie « assistée ».
Face à lui, un cadre supérieur vivant dans le 7ᵉ arrondissement de Paris.
À domicile, il a un lit médicalisé, un accompagnement 24h/24, des médecins spécialisés, un psychologue, un kiné.
Lequel aura vraiment le « choix » ?
La France s’apprête, sans le dire, à légaliser une mort sociale pour les pauvres, les isolés, les invisibles.
Pas parce qu’ils le veulent.
Mais parce qu’ils n’auront pas d’autre issue.
Et ce scandale silencieux est en train de s’installer sans résistance, sous couvert de mots doux : « liberté », « dignité », « respect ».